Margaux Duseigneur : entretien
Après la pluie, le nouveau livre de Margaux Duseigneur sort en librairie le 17 octobre 2025.

Le livre se situe entre la bande dessinée et le recueil de nouvelles, à la frontière entre surréalisme, autobiographie et fiction.
Dans ce récit de 160 pages, Margaux propose sa version joyeuse et solidaire du monde d'après - où de nouvelles façons d'habiter la terre sont célébrées.
Découvrez dans cet entretien le contexte de création d'Après la pluie, les références de Margaux et ce qui l'a poussée à imaginer cette bande dessinée.
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La nouvelle Pluie est parue dans la revue collective Lagon et Avant la pluie en auto-édition. Après la pluie apparaît comme une suite, et ton premier long format. Quel a été le contexte de création de cette publication chez Fidèle ?
Après la publication de la nouvelle Pluie dans Lagon, Vincent m’a proposé de faire une BD long format qui serait inspirée de près ou de loin de cette histoire. C’était assez intimidant pour moi, car je n’avais fait que peu de BD, mais j’avais pris beaucoup de plaisir à réaliser ces planches pour Lagon. Pour la nouvelle Pluie, j’avais amalgamé des sujets qui me tenaient à cœur (le renouveau politique, la vie collective, les cantines…) avec des envies purement formelles (dessiner des formes molles, qui coulent, qui tirent vers l’abstraction, de la vaisselle, des paysages). Cela a donné cette histoire, entre réalisme et surréalisme. J’y avais mis tellement de choses qui faisaient sens pour moi que cela a été assez agréable de déployer cette matière sur un long format.
Finalement, c’est venu assez naturellement d’intégrer des éléments de ma vie familiale, amicale, politique, de mes lectures, de mes aspirations. J’ai voulu que ce soit polymorphe, comme le témoignage d’un monde, qu’il y ait plusieurs registres : du documentaire, du récit, des recettes de cuisine, des histoires courtes, des histoires longues, bavardes ou muettes. Puis je me suis amusée à entremêler tout ça, à chercher l’équilibre.
C’est un livre qui parle de vie collective, mais j’ai finalement dû m’isoler loin de la vie bouillonnante uzerchoise pour trouver le temps de réaliser cette bande dessinée !
Tu as l’habitude de travailler avec la matière et le volume : céramiques, peintures, livres d’artistes avec des ajouts de dessins originaux… Qu’est-ce qui change dans ton processus créatif pour un livre de bande dessinée imprimé ?
J’ai finalement travaillé un peu de la même manière, contrairement à ce que j’aurais pensé : assez automatiquement, sans trop revenir en arrière. En privilégiant souvent le premier jet plutôt que la recherche. Même au moment de monter les nouvelles les unes avec les autres, j’avais l’impression de réfléchir de la même manière que lorsque je scénographie une exposition ou que je pense un livre de dessins : réfléchir aux pleins, aux vides, aux résonances. La vraie différence, c’était plutôt le format : je n’ai plus l’habitude de dessiner si petit, et cela m’a poussée à aller à l’essentiel.
Après la pluie est un titre qui inspire l’instant d’après et semble évoquer le calme après la tempête. Dans ce récit, de quelles crises s’agit-il ?
Les crises qui mènent à la tempête dans ce livre sont celles que nous traversons nous-mêmes, à notre époque. Je dirais que le récit se situe dans quelques années, à un moment où les gouvernements ont continué d’aller toujours plus loin dans l’abjection, mais où le peuple a, lui, franchi un cap dans l’auto-organisation.
Il n’y a pas véritablement de personnage principal dans ce livre, l’humain apparaît plutôt dans son espèce que dans son individualité. Est-ce que tu peux nous parler de ton rapport au collectif ?
Je partage une maison avec trois autres personnes à Uzerche et je vis et travaille la journée dans un lieu qui s’appelle le Sénéchal, dans lequel nous sommes treize : artisan·es, chercheur·euses, vidéastes, peintres et dessinateur·ices. C’est ainsi que j’aime partager le quotidien : fêter les joies et traverser les peines à plusieurs. C’est pour moi une vraie facilitation de la vie que de s’entraider spontanément au jour le jour, mais aussi une nécessité politique d’apprendre toujours plus à s’organiser ensemble.
En tout cas, c’est un mode de vie pour lequel j’ai envie de témoigner, car je trouve qu’il y a peu d’imaginaires et de ressources sur la vie collective. On est souvent rattrapé·es par l’image d’Épinal de la communauté, alors qu’il existe des manières très différentes de vivre en collectif.
Le livre mentionne des recettes détaillées et sera présenté en même temps qu’un marché alimentaire où tu proposeras toi-même quelques plats cuisinés. Tu participes régulièrement à des cantines solidaires avec la Calade… La nourriture semble occuper une place centrale dans ta pratique. Peux-tu nous en parler ?
Un bon repas, c’est une fête. Je trouve que lorsque l’on mange des choses bonnes et belles, on se sent choyé·e, on sent l’attention que les personnes ont mise à cuisiner pour nous faire plaisir. Dans ma famille, c’est clairement la manière de dire aux autres qu’on les aime. Cela fonctionne aussi avec la cuisine collective : on se sent accueilli·e lorsqu’on va manger dans un endroit où cette attention est portée à la nourriture, et ça compte beaucoup pour moi.
Je peux aussi dire que la cuisine est entrée dans ma pratique comme le dessin, le volume ou le jardin. J’ai le sentiment que le fait de m’installer à la campagne a changé ma manière de travailler, rendant toutes ces choses que j’aime faire poreuses les unes aux autres.
Envisages-tu la vie en communauté comme une forme de résistance ? Est-ce pour toi une solution face aux violences ?
Plus que la communauté, je dirais la solidarité entre les personnes, la fédération entre les collectifs.
Je pense que solidariser nos groupes, nos familles, nos ami·es, créer du lien entre habitant·es, travailleur·euses, est une véritable manière de se défendre, de résister, mais aussi d’entrer en action. Je crois en un maillage d’individualités et de collectifs qui deviendrait un véritable contre-pouvoir.
Le livre traite d’enjeux réalistes : les désastres écologiques, la violence policière, le deuil… Cependant, le ton alterne entre une approche fictionnelle et documentaire, voire imaginaire. Envisages-tu la poésie comme un moyen d’expression politique ?
Je dirais que chacun·e fait avec les moyens dont iel dispose pour exprimer ses idées, ses aspirations. Cela ne veut pas dire que c’est une fin en soi, mais plutôt qu’on peut faire feu de tout bois.
As-tu des références d'œuvres qui t’ont accompagnées ou inspirées pendant l’écriture d’Après la pluie ?
Mes références viennent aussi bien de la littérature, que de la bande dessinée et des arts visuels. En roman, Tabor de Phoebe Hadjimarkos Clarke m’a beaucoup marquée pour son mélange de récit post-apocalyptique et d’essai politique, ainsi que son écriture franche. J’ai aussi aimé Dans la forêt de Jean Hegland. En bande dessinée, Olivier Schrauwen (Vies parallèles) m’a inspiré par le mélange de SF décalée et politique, et par son dessin. J’ai été séduite aussi par Yuichi Yokoyama et son va-et-vient entre figuration et abstraction. Côté arts visuels, Max Ernst pour ses paysages étranges, Valentine Schlegel pour ses intérieurs courbes, et Jean Arp pour ses formes claires et simples.
Découvrez Après la pluie, le nouveau livre de Margaux Duseigneur.